La RCCI : Pour une nouvelle dynamique économique à Rodrigues

Déclaration de Mission de la Chambre de Commerce et Industrie de l’île Rodrigues

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Rodrigues se trouve à un moment de vérité : ses sources de revenus traditionnelles s’épuisent et les finances publiques se resserrent. Le budget national 2025-26 marque une baisse significative des allocations destinées à Rodrigues, annonçant la fin d’une ère de transferts faciles. Ce tournant est renforcé par un changement annoncé du cadre légal : le Rodrigues Regional Assembly (Amendment) Bill introduit une budgétisation axée sur la performance, conditionnant les financements aux résultats obtenus et soumettant les décisions économiques locales à un contrôle accru. En termes simples, Rodrigues doit désormais faire plus avec moins. Et plus que jamais, elle doit le faire par ses propres moyens.

C’est dans ce contexte que la création de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Rodrigues (RCCI) marque une avancée décisive vers une croissance portée par le secteur privé. Le présent article explique pourquoi ce moment est critique pour Rodrigues et ce que la RCCI compte apporter comme réponse. Il s’articule en huit parties :

  1. Le mirage du secteur privé rodriguais
  2. Pourquoi l’économie ne décolle pas
  3. Une génération en fuite
  4. Rodrigues – île modèle ou en marge ?
  5. Le rôle moteur du secteur privé
  6. Pas de croissance sans dialogue
  7. Le rôle de la RCCI dans la transition
  8. À propos de la RCCI

I. Le mirage du secteur privé rodriguais

Depuis des décennies, la gouvernance économique de Rodrigues s’est construite autour d’un oubli frappant : le secteur privé a été exclu de l’équation. Tandis que les budgets publics, les plans stratégiques et les politiques gouvernementales se sont multipliés, ils continuent d’ignorer en grande partie le rôle fondamental de l’entreprise privée dans la création d’emplois, la génération de revenus et la résilience économique à long terme.

Le discours budgétaire 2024-25 n’accorde au secteur privé que quelques lignes vagues, parmi lesquelles une annonce maladroitement traduite d’un « network business » qui suscite davantage d’inquiétude que d’espoir. Le budget 2025-26 aggrave encore la politique erronée des subventions non remboursables – un poison mortel pour tout secteur privé, car il fausse les règles du jeu et nuit à la concurrence.

Le récent lancement du Comité consultatif tripartite du travail de Rodrigues en est un autre exemple : la partie mauricienne y était représentée par Business Mauritius et les principaux syndicats, mais aucun employeur rodriguais n’a été convié. Pire, lorsque des commissaires parlent du « secteur privé », ils désignent souvent exclusivement les conglomérats mauriciens – et non les entrepreneurs locaux.

Ce mépris n’est pas que rhétorique. Il traduit un biais structurel plus profond, selon lequel l’Assemblée régionale de Rodrigues est considérée comme l’acteur principal du développement économique, tandis que le secteur privé est perçu comme marginal, extractif, voire suspect. Dans un tel contexte, entreprendre devient un acte de défi, non de soutien – réalisé malgré le système, et non grâce à lui.

II. Pourquoi l’économie ne décolle pas

L’économie rodriguaise est prisonnière d’une structure qui favorise les importateurs au détriment des innovateurs. Les acteurs économiques les plus puissants sont des commerçants-importateurs qui distribuent des biens et dominent le commerce de détail à travers des réseaux dépendants de petites « boutik ». Mais les commerçants ne sont pas des entrepreneurs au sens schumpétérien : ils cherchent la continuité, non la rupture. Leur modèle économique repose sur des flux d’importation, et toute forme de production locale menace leurs marges.

Les responsables politiques, quant à eux, confondent souvent les fonds publics avec le capital d’entrepreneuriat. Les échecs, tels que l’école hôtelière Vatel, en sont le résultat. Les coopératives ont longtemps été utilisées comme substitut au secteur privé, mais le népotisme, la politisation et l’absence d’un encadrement compétent en ont fait un cimetière d’espoirs publics. Même lorsqu’un individu dévoué émerge, il finit souvent par partir pour Maurice en quête de meilleures opportunités.

Quant aux fonctionnaires, ils ne sont pas mieux placés pour porter le développement. L’aversion au risque est ancrée dans leur culture professionnelle. On ne devient pas fonctionnaire pour changer le monde, mais pour préserver le statu quo.

Ces différents acteurs forment ensemble un système qui se maintient en résistant au changement – un système inadapté à toute transformation économique.

III. Une génération en fuite

L’effet le plus douloureux du système économique actuel de Rodrigues est sa violence silencieuse envers le talent. Les jeunes Rodriguais qualifiés quittent l’île en nombre croissant. Ils ne partent pas seulement pour de meilleurs salaires ou une meilleure formation, mais parce qu’ils se sentent invisibles, non reconnus, non soutenus. Pour beaucoup, il ne s’agit pas d’un choix d’ambition, mais d’un réflexe de survie. Et ceux qui choisissent de rester se retrouvent souvent à contre-courant – isolés, sous-estimés, confrontés à une culture qui considère l’initiative avec méfiance plutôt qu’encouragement.

Cette fuite n’est pas qu’une tendance démographique – c’est une urgence économique. L’île perd non seulement des bras et des cerveaux, mais aussi de l’espoir et de la continuité. Chaque jeune qui part représente un investissement à long terme – d’efforts familiaux, de scolarisation publique, d’héritage culturel – qui sera valorisé ailleurs. À chaque départ, Rodrigues est amputée de l’énergie même dont elle aurait besoin pour se régénérer.

Au cœur de cette crise se trouve l’effondrement des opportunités. Pour un jeune ayant des idées, des compétences et de l’ambition, il existe peu de voies pour transformer ce potentiel en réalité. Il n’y a pas de dispositif structuré pour les start-ups, peu de mentors, et un accès très limité au financement d’amorçage. La créativité est enfermée dans la bureaucratie ; l’audace est émoussée par un environnement qui récompense la conformité au lieu de l’initiative.

Ces jeunes Rodriguais ne réclament pas des faveurs – ils demandent une chance. Un espace pour essayer, échouer, apprendre. Un cadre qui valorise l’initiative au lieu de la sanctionner. Une communauté qui voit dans l’innovation non une menace à l’ordre, mais une promesse de progrès.

Si cette génération continue de fuir, il se pourrait bien qu’aucune ne soit là pour la remplacer. L’avenir ne reviendra pas.

Mais cette tendance n’est pas irréversible. Ce qu’il faut, c’est un nouveau récit – qui ne voie pas la jeunesse comme un problème à résoudre, mais comme la clé de toutes les solutions. C’est ici que la RCCI entend faire la différence : en créant une plateforme qui connecte les talents avec des outils, des mentors, et des réseaux d’encouragement. En montrant qu’à Rodrigues, l’initiative est possible – et bienvenue.

Il ne s’agit pas seulement de retenir les gens. Il s’agit de leur donner une raison de rester. Et peut-être, un jour, une raison de revenir.

IV. Rodrigues – île modèle ou en marge ?

Rodrigues a longtemps été perçue comme périphérique, à la traîne, à la marge du monde. Mais sur une planète qui prend conscience des réalités du changement climatique, de l’épuisement des ressources et de la fin de la croissance illimitée, l’humanité entre dans une ère de finitude – un âge de limites, de sobriété, et de suffisance repensée. Pour les petites îles comme Rodrigues, cette condition n’est pas nouvelle : c’est une réalité vécue. Ici, la rareté n’est pas une crise mais une donnée de base. Ici, l’échelle humaine n’est pas une contrainte mais une force.

L’insularité, autrefois considérée comme un handicap, se révèle aujourd’hui comme une clé de lecture de l’avenir. Rodrigues, avec ses communautés soudées, ses écosystèmes fragiles et ses ressources limitées, n’est pas en retard – elle est en avance. Elle se présente comme un laboratoire vivant d’une économie à taille humaine, durable, et fondée sur des valeurs. Depuis les marges de la carte, Rodrigues peut offrir au monde un modèle : non pas d’accumulation infinie, mais de développement porteur de sens, enraciné dans la bienveillance, la créativité et l’équilibre.

Rodrigues n’a pas à déconstruire des modèles défaillants pour faire place au futur – elle peut construire autrement, dès le départ. Ce n’est pas une faiblesse ; c’est une liberté. L’absence de surdéveloppement industriel crée un espace propice aux pratiques régénératrices, aux économies circulaires et à l’innovation locale. La RCCI ne voit pas là une utopie, mais un avantage stratégique. La petite échelle de l’île permet l’expérimentation, l’agilité et la mise en œuvre de nouveaux modèles de croissance porteuse de sens. Nous croyons que la voie que trace Rodrigues – née de la nécessité, nourrie par la créativité – pourrait bien devenir une référence pour des communautés bien au-delà de nos rivages.

V. Le rôle moteur du secteur privé

Le secteur public a eu des décennies pour conduire le développement. Le bilan est sans appel – et il est décevant. Les rapports annuels d’audit fournissent une abondante documentation sur les échecs et les gaspillages.

Pourquoi ? Parce que les administrations publiques et l’entreprise privée obéissent à des logiques fondamentalement différentes – et tant que ces différences ne seront pas comprises et respectées, toute collaboration restera superficielle ou éphémère.

Le fonctionnaire est, par nature et par formation, réfractaire au risque. Le système récompense la prudence, pas l’innovation. Parallèlement, l’élu ou l’administrateur politique recherche souvent la solution rapide plutôt que la solution durable. Son objectif premier est souvent de faire disparaître un problème – vite – en sachant parfaitement que la réponse apportée ne tiendra peut-être pas dans le temps. L’objectif n’est pas la pérennité, mais l’effet immédiat.

À l’inverse, l’entrepreneur se nourrit du risque et de la rupture. Réussir en affaires exige d’anticiper le changement, de réagir de manière créative aux échecs, et d’investir temps et ressources dans des projets incertains. Et contrairement aux cycles politiques à courte vue, l’entrepreneur – quand il réussit – s’inscrit dans la durée. Une entreprise n’est pas un dossier à clore, mais un projet de vie à bâtir.

Cette divergence dans la logique temporelle et la gestion de la complexité se traduit souvent par des projets échoués ou sous-performants. Exemple : la Maison des Pêcheurs à Port Mathurin. Après un rapide lifting – tâche relativement facile – le bâtiment reste vide. Pourquoi ? Parce qu’aucun modèle économique viable n’a été conçu pour le faire fonctionner. Le défi structurel – celui de le rendre durable – n’a jamais été abordé.

Autre cas : en 2019, l’administration investit dans du matériel italien haut de gamme pour l’extraction de jus de limon et une chambre froide, destinés à une coopérative de Graviers. L’investissement fut rapide et spectaculaire – mais la logique économique, elle, était bancale. Il y a un mois, 50 000 limons locaux ont été exportés à Maurice pour y être transformés en... jus de limon. Une trahison, non seulement des entrepreneurs locaux, mais de la cause rodriguaise elle-même. Pourquoi ? « La coopérative a rencontré des difficultés et le matériel est désormais hors d’usage. » La pérennité d’un projet est une chose complexe. À Graviers, le projet n’a pas survécu.

Tant que la logique entrepreneuriale ne sera pas mieux comprise, les initiatives publiques continueront de confondre infrastructure et entreprise, rapidité et stratégie. Ce qui ressemble à de l’action n’est souvent qu’un ajournement déguisé.

VI. Pas de croissance sans dialogue

La gouvernance économique à Rodrigues souffre non seulement de politiques inadaptées, mais aussi d’un manque criant de transparence et de débat public. Les décisions stratégiques se prennent à huis clos, des projets majeurs sont lancés sans consultation, et les rapports critiques – lorsqu’ils sont publiés – ne sont ni lus ni pris en compte. Le résultat est un système opaque où la redevabilité est minimale et où les mêmes erreurs structurelles se répètent à l’infini.

Le financement public, surtout lorsqu’il provient de bailleurs externes, renforce souvent ce schéma. Au lieu d’être adossé à des stratégies de développement solides et contextualisées, l’argent circule par des canaux politiques ou personnels. Les projets sont présentés comme des faits accomplis. Les parties prenantes ne sont pas invitées à contribuer, à contester ou à enrichir le débat – elles sont censées suivre.

C’est là que la RCCI pose une ligne rouge. Le développement ne peut pas être imposé. Il doit être délibéré. Et la délibération exige transparence, données, débat éclairé, et inclusion de toutes les voix – surtout celles qui vivent la réalité au quotidien. La RCCI est convaincue que le renouveau économique de Rodrigues ne peut commencer qu’en réhabilitant la parole publique comme condition préalable à toute politique. Un rapport de 2023 sur une stratégie durable et rentable pour la pêche rodriguaise n’a toujours pas été rendu public – et pourtant la Commission prépare déjà une conférence des bailleurs de fonds. Comment solliciter des financements sans avoir, au préalable, engagé un débat public ouvert avec tous les acteurs concernés ?

VII. La RCCI comme vecteur d’un développement porté par le secteur privé

La Chambre de Commerce et d’Industrie de Rodrigues est plus qu’une association d’entreprises – elle est un vecteur de renouveau économique, enraciné dans l’énergie créative, l’expérience vécue et l’ambition entrepreneuriale de Rodrigues elle-même. Dans une économie structurellement dépendante où l’État a longtemps été l’acteur et l’employeur principal, la RCCI propose une logique de développement alternative : centrée sur l’initiative privée, la résilience entrepreneuriale et la création de valeur économique ancrée dans les communautés.

Pour remplir cette mission, la RCCI assume plusieurs rôles. Elle est une plateforme de services, offrant aux entrepreneurs locaux des ressources, des informations et un appui essentiels pour naviguer dans un environnement économique contraint. Elle est aussi un laboratoire d’idées, identifiant et analysant les blocages structurels tout en formulant des propositions innovantes conciliant viabilité économique, impératifs sociaux et réalités écologiques. Elle est un partenaire des autorités publiques, œuvrant à l’élaboration de visions partagées et de collaborations pragmatiques au-delà des clivages partisans. Elle est un plaidoyer, défendant un cadre politique favorable à l’entreprise et portant la voix des opérateurs rodriguais auprès de toutes les instances de gouvernance. Et, surtout, la RCCI est un espace de dialogue – connectant les acteurs économiques à travers les secteurs, les origines et les territoires pour bâtir la confiance, stimuler la coopération et faire émerger des initiatives communes.

Dans tous ces rôles, la Chambre reste fidèle à sa conviction fondatrice : Rodrigues n’a pas besoin de rattraper un modèle de développement dicté d’ailleurs, mais de tracer sa propre voie en valorisant les forces de son peuple, de sa terre et de ses traditions. La RCCI ne se positionne donc pas simplement comme représentante des intérêts du secteur privé, mais comme co-architecte d’un avenir économique pour Rodrigues – localement enraciné, socialement inclusif et écologiquement durable.

VIII. À propos de la RCCI

La Rodrigues Chamber of Commerce and Industry (RCCI) a été officiellement enregistrée le 25 septembre 2024 sous le Registration of Associations Act 1978. Ses bureaux sont situés à Port Mathurin, au premier étage du bâtiment LIC, rue Johnson.

La Chambre maintient une présence active en ligne via son site web à l’adresse www.rcci.mu, ainsi que sur Facebook et LinkedIn.

Dans l’attente de la prise de fonction de son personnel permanent, la Chambre reçoit le public uniquement sur rendez-vous. Elle est joignable par téléphone au +230 5936 3435 ou +230 5705 7067 (WhatsApp), et par email auprès de son Secrétaire Général à l’adresse suivante : secgen@rcci.mu.

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